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La transformation de l’automobile dont il faut parler : le contenu local

Plant with many similar equipments stored in parallel in a vast clear room

La transformation de l’industrie automobile va bien au-delà de l’électrification ou du dynamisme chinois. Un changement plus silencieux, mais tout aussi structurel, est en cours : la régionalisation des chaînes de valeur. Dans cette tribune, j’aborde un enjeu clé pour l’avenir de l’écosystème automobile européen : le renforcement des règles de contenu local, afin de préserver les savoir-faire, soutenir l’emploi et garantir une transition plus résiliente. Mais cette stratégie ne portera ses fruits que si tous les acteurs – décideurs publics, constructeurs, partenaires sociaux – s’y engagent de manière coordonnée et ambitieuse.


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Victoria

 

Tribune de Victoria CHANIAL - Vice-présidente exécutive, Communication, Affaires publiques et Développement durable Groupe

 

 

On dit souvent que l’industrie automobile vit la période la plus transformatrice de son histoire. L’électrification des motorisations, l’émergence de nouveaux constructeurs, la délocalisation de la production vers la Chine et la baisse de compétitivité des régions historiquement dominantes comme l’Union européenne et l’Amérique du Nord sont autant de causes et de conséquences des mutations du secteur.

Si les nouvelles réglementations CO₂ poussant à l’électrification sont souvent mises en avant comme principal levier de transformation, un autre changement de paradigme, tout aussi crucial, prend de l’ampleur : la régionalisation de l’économie automobile.

Depuis le début des années 1980, la mondialisation est considérée comme le système le plus efficace pour optimiser les coûts de production tous secteurs confondus, tout en soutenant le développement économique des marchés émergents.

 

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Freight boat seen from above on the sea

 

Ce modèle a permis aux économies du Nord d’élargir la consommation des classes moyennes, et à celles du Sud d’en créer une. Mais cette logique a été brutalement remise en question par la pandémie de COVID-19, qui a mis en lumière la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales très interconnectées.

Une petite perturbation dans une région peut entraîner des blocages à l’autre bout du monde, stoppant la production ou la consommation.

Cela a relancé les débats sur la résilience industrielle, les dépendances logistiques, le rapatriement de la production et la protection des filières locales.

Parallèlement, la politique commerciale mondiale est entrée dans une nouvelle ère. Le consensus d’après-guerre autour du libre-échange, incarné par des institutions comme l’OMC, est désormais remis en cause dans son efficacité.

De nombreuses régions mettent aujourd’hui en place des mesures protectionnistes pour garantir une concurrence « équitable » et protéger leurs acteurs face à de nouveaux entrants ne jouant pas toujours avec les mêmes règles. L’escalade récente des droits de douane entre les États-Unis, l’Europe et la Chine — les trois plus grandes puissances économiques — en est une illustration directe. L’industrie automobile est en première ligne face à ce nouveau paradigme.

Un nouveau paradigme, fondé sur un protectionnisme intelligent

Dans ce contexte, l’idée de favoriser un contenu local accru dans les véhicules a récemment émergé dans les débats européens — une démarche que nous soutenons chez FORVIA pour renforcer la résilience de la base industrielle, préserver les compétences et les emplois, et garantir une concurrence équitable dans un paysage mondial en mutation.

Alors que les véhicules thermiques produits en Europe contiennent environ 90 % de composants locaux, ce chiffre tombe à 40–60 % pour les véhicules électriques à batterie (BEV), principalement à cause des batteries importées, qui représentent une part majeure de leur valeur.

Avec l’accélération de l’électrification, il est essentiel de conserver la création de valeur en Europe. Les règles de contenu local doivent s’appliquer à tous les composants (et pas seulement aux batteries comme l’a suggéré jusqu’ici l’UE), afin de soutenir l’ensemble de la filière.
 

 

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Seating assembly

 

Protéger l’industrie automobile européenne, c’est protéger tout son écosystème – non seulement les constructeurs, mais aussi l’immense réseau de fournisseurs qui les accompagne. Le secteur représente 8 % du PIB européen et 13 millions d’emplois.

Si les équipementiers de rang 1 comme FORVIA ont une présence mondiale leur permettant de répartir les risques, des milliers de fournisseurs de rang 2 et 3 sont, eux, fortement exposés.

Si nous ne voulons pas que l’Europe se résume à un simple site d’assemblage – une « industrie tournevis » – nous devons protéger notre base de fournisseurs.

Aujourd’hui, les constructeurs bénéficient de barrières douanières allant jusqu’à 48 % sur certains BEV importés, tandis que les composants ne sont soumis qu’à des droits négligeables (à peine 3 %). Ce déséquilibre met en lumière l’urgence d’un nouveau mécanisme de protection intelligente.

Appliquer ce que d’autres font déjà

Ce que nous proposons n’a rien d’inédit. Des dispositifs similaires existent déjà dans des régions clés comme l’Inde, la Chine ou encore la zone USMCA (États-Unis, Mexique, Canada).

Nous devons nous en inspirer, en termes de méthodologie et de règles d’application. Dans l’USMCA, par exemple, les critères de contenu local dépassent les exigences d’origine pour inclure des seuils de coûts salariaux, garantissant ainsi que les composants soient non seulement produits localement, mais aussi conformes à des normes sociales. Certes, il est plus simple de coordonner trois pays que 27, mais l’Union européenne doit explorer cette voie.

La même logique s’applique à la durabilité. Les pièces produites localement sont meilleures pour l’environnement – chez FORVIA, le transport des marchandises représente à lui seul 6 % de nos émissions. Des règles de contenu local peuvent accélérer la décarbonation, à condition qu’elles soient appliquées de manière cohérente dans tous les États membres.

 

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Highway through green fields with car trafic

 

L’industrie doit jouer collectif

Les idées sont faciles à formuler ; bâtir un consensus entre acteurs aux intérêts divergents est bien plus complexe.

C’est là tout l’enjeu du contenu local. Les priorités peuvent différer selon les pays, les constructeurs, les fournisseurs – mais l’industrie automobile fonctionne comme un écosystème. La valeur créée doit être partagée équitablement entre tous les acteurs et toutes les régions, au sein du plus grand marché économique du monde.

Et au-delà de la protection, nous devons aussi stimuler la demande. Plusieurs leviers sont encore sous-utilisés — des incitations pour les flottes d’entreprise aux subventions publiques, en passant par des avantages fiscaux ciblés pour les véhicules produits localement.

Tous ces leviers doivent converger pour créer un nouvel élan et garantir un avenir à notre industrie en Europe.

Il est temps de passer des paroles aux actes. D’autres régions avancent vite, et l’Europe ne doit pas rester à la traîne. En tant qu’acteur mondial, FORVIA considère déjà les approches locales comme le nouveau standard du succès.

Ce réflexe "glocal" n’est pas un repli sur soi : c’est une évolution nécessaire, qui favorise la prospérité, l’équité et la durabilité de l’industrie automobile européenne.

 

Victoria CHANIAL